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Chapitre XXII : La longue marche

À flanc de montagne dans vallée de la forteresse de la porte de la Lune

 

La marche à pied avait beau être quelque chose de facile et d’inné pour un humain, la plante des pieds était un organe autrement plus fragile qu’un sabot. Dathcino s’écroula en soupirant. La fatigue des marches forcées des derniers jours lui tombait sur les épaules avec tout le poids d’un sac de plâtre. Même après une bonne nuit de sommeil, le jeune homme était encore fourbu. Et pouvait-il vraiment parler de repos ? Son dernier somme avait été tout sauf improductif et reposant. 

«¡Por favor, no puedo soportarlo más! gémit-il en s'appuyant sur une des bornes qui jalonnaient la route impériale.

- Dans ton esprit, estúpido ! le rabroua immédiatement ce cher docteur Cabaleron, jamais très loin.

- Facile pour toi ! Toutes tes leçons dans mes rêves m’ont retourné le cerveau. Toi, tu n’as pas l’air de beaucoup te fatiguer, tu ne fais que flotter à mes côtés, riposta l’ancien voleur, piqué au vif.

- Qu’est que j’ai dit ! insista l’ex archéologue, dans ta tête ! Et après ne te plains pas si je t'appelle le schizo !

- C’est mieux là ?!? répliqua Dathino, mentalement cette fois-ci.

- Mieux, en effet, approuva le docteur.

- Il n’empêche, ça reste facile pour toi, tu n’as qu’à flotter à côté de moi, ronchonna l’humain, décidément de mauvais poil. Tu n’as pas à te trainer avec ces engins de torture au bout des membres, même les fers à sabots des nobles ne sont pas aussi mal fichu », se lamenta Dathcino en massant les chevilles. 

Une paire de godillots gisait non loin des pieds endoloris. Les chaussures avaient connu des jours meilleurs, le cuir était rigide et irritant tandis que les semelles de bois cloutées de fer pesaient une tonne. En plus de ces souliers, Dathcino portait les restes d’un uniforme espagnol déchiré et encrassé de sang et de boue. Un baudrier avec une lame à son fourreau complétait la tenue.  

« Si tu veux te faire passer pour un humain natif, porter ces accessoires est indispensable, insista Cabaleron.

- Mouais je voudrais t’y voir ! Je ne comprends pas comment ces humains font pour rester la journée avec ces choses aux pieds, pesta Dathcino.

- Je te concède qu’il y manque au moins une demi pointure pour qu’elles t'aillent et que ces barbares ne savent même pas différencier un pied droit d’un pied gauche, concéda le spectre.

- Ah ! Tu avoueras donc que ces choses sont mal fichues, triompha le vivant.

- À cheval donné on ne regarde pas les dents, soupira le docteur.

- Regarde pas les dents… Je dois le prendre comment !?! Je n’ai pas mauvaise haleine que je sache ! s’emporta son jeune maître qui était repassé au langage oral.

- Pardon, ce n’est pas toi que je visais, s’excusa le spectre servant. Ce n’est qu’un proverbe qu’utilisent les humains. Un des défaut de ces leçons oniriques est que tu n’as que le vocabulaire “basique” il te manque toutes les expressions idiomatiques... 

- Idomaquoi ? Tu me traites d’idiot ?!? s’offusqua Dathcino.

- Non et qu’importe ! Et cesse donc de t'emporter à chaque mot que tu ne comprends pas, cela ne nous fait pas avancer. Je te rappelle que tu n’es plus un équidé et que pour les humains les chevaux sont des bêtes de somme assez usuelles. 

- Il n’empêche que ces trucs sont mal fichus, pesta Dathcino en désignant les chaussures.

- Ce n’est pas comme si nous avions eu le choix, c’est déjà une chance qu’hier je t’ai trouvé le corps de ce malheureux, commenta Cabaleron.

- Que tu as trouvé ! Oh hé l’autre !! Et d’abord, c’est qui qui a eu l’idée de t'envoyer sur les pourtours du champ de bataille en chercher un d’espagnol ?!? questionna le jeune homme outragé.

- Oui bon, je concède qu’il t'arrive d’avoir, parfois, de bonnes idées, dut admettre l’ex archéologue. Celui-ci a dû fuir le gros des combats dans la cohue de la bataille. La peur d’être traité de lâche l’a ensuite retenu de rejoindre les siens les combats terminés, la nuit l’a ensuite surpris dans les collines.

- Mouaip, je reste surpris que des blessures si légères l'aient emporté, objecta Dathcino. Mais maintenant que j’y pense, quand on l’a trouvé ce matin il avait le visage crispé de peur ce pauvre type. Dis tu ne l’aurais pas un peu “aidé” des fois que ?... 

- Oui, bon, il est possible qu'une fois la nuit tombée j’ai peut-être un peu forcé sur les cauchemars, concéda le poney fantomatique.

- Doc’ ! Je t’avais demandé de l’épargner ! se plaignit Dathcino avec force. 

- Tu ne m’as rien ordonné de tel, se défendit son serviteur. Je n’y peux rien si les derniers envahisseurs débarqués d’Europe n’ont pas le cœur solide. 

- Les tuer nous rabaisse à leur niveau, j’ai perdu une amie très chère pour l’apprendre, soupira Dathcino en un murmure. 

- Le garder en vie nous aurait causé plus de problèmes qu’autre chose, rétorqua Cabaleron. Et puis tu m’avais prié de, je cite : “en repérer un de clamsé ou s’il y en a pas un type isolé et pas trop en forme qu’on puisse faire semblant de l’aider.” Cet individu voulait revenir à son camp au milieu de la nuit, j’ai juste joué un petit peu sur ses peurs les plus profondes pour le convaincre de rester là où il était et clac il a passé l’arme à gauche. Pas solides ces conquistadors…

- Oh mec, ça c’est bien une idée de merde. À l’avenir évite ce genre d'initiatives, à la longue ça va nous faire plus de mal que de bien.

L’image du spectre fronça les sourcils, le docteur marqua un temps d'arrêt avant de répondre. De son vivant il aurait moché ce moins que rien qui osait le contredire mais plusieurs années de sévices et de servitude complète avaient quelque peu bridé sa fierté et son autoritarisme. Cependant il restait au fond de son âme Cabaleron le chef de bande, génie du crime et plus grand pilleur de tombe de tout Equestria et au-delà, craint et obéi de ses sbires. 

« Tes remarques et avis sont dûment notés, mais… Cabaleron hésita sur la formulation. Ses ordres l’obligeaient au tutoiement et à un vocabulaire simple. Si tu ne me laisses pas un minimum de latitude, comment veux-tu que je sois efficace ?

- Doc’ je te demande pas d’être efficace je te demande de m'écouter, commanda le jeune homme. Tuer c’est pas cool, c’est un truc que les poneys ne doivent pas faire. 

- .... Tant de candeur et de naïveté… ça me désole, déplora le spectre. Malgré tout le respect que je dois à ta charge, tu nous emmènes droit au naufrage et je ne veux pas couler avec toi.

- Ben pour le moment je reste le capitaine et c’est moi qui commande alors ferme le claque merde qui te sert de bouche ! 

- C’est un ordre ?!?

- Ouai ! C’est un ordre ! »

Sans un mot de plus, le docteur commença à s’éloigner. Il n’avait pas fait trois mètres que brusquement une force invisible le ramena au pied de son maître avec toute la force d’un troupeau de buffle. Le pauvre fantôme s'étala de tout son long dans la boue et les graviers du sol de montagne.

« Doc ça va ? » s'inquiéta Dathcino.

L’ex-archéologue se releva avec tout le peu de fierté que lui permettait la situation. Au moins avec son état ectoplasmique la boue ne s'était-elle pas accrochée à ses basques. Cabaleron hocha légèrement.

« Ça a l’air d’aller on dirait… ricana le jeune homme en ré-enfilant ses chaussures. Bon, Doc’, où c’est qu’on on va ?»

Le spectre se contenta de pointer le sabot vers le fond de vallée. Faire une paire de lacets avec dix doigts dont deux pouces opposables c’est vachement plus facile qu’à la bouche et au sabot pensa le jeune humain. Les deux compères se remirent rapidement en route. L’avance était difficile, à flanc de montagne dans une végétation dense et rebelle. C’était comme si ronces et lianes cherchaient à retenir cet humain envahisseur dans leur rets.

Avant cette pause le docteur aidait son maître en lui donnant encouragement et conseil, allant sans cesse de droite et de gauche. Là, le spectre servant restait stoïque, la progression se faisait dans un silence pesant. Au bout d’un moment, n’y tenant plus, Dathcino aborda à nouveau son compagnon de route.

« Ho Doc ! T’es fâché ? »

Toujours pas de réponse.

« Hay Doc je te cause !  Tu pourrais répondre quand je te cause !?!

- Si tu m’en donne l'ordre oui, lui répondit mentalement Cabaleron d’un ton sec.

- Que je t’en donne l’ordre ? Qu’est ce que c’est encore cette histoire !?! s’emporta Dathcino. Il faut que je te dise tout quoi faire, même les trucs plus basiques ? Va falloir que tu me demandes la permission pour tout, même pour pisser ?!?

- Je te rappelle que pisser est une fonction vitale, gronda le spectre. Et comme beaucoup d'autres, elle m’est impossible du fait de mon état. Ensuite tu m’as spécifiquement ordonné defermer le claque merde qui te sert de bouche

- Ouai bon j’avoue, j’ai p’tre un poil exagéré », avoua Dathcino tout penaud.  

Pour seule réponse, Cabaleron renvoya à son interlocuteur et maître un regard plein de morgue et de mépris.

« Okay t’as gagné, je m’excuse, j’aurais pas dû te lacher ça. Mais faut pas écouter tout ce qui je dis, je raconte beaucoup de la merde.

- Cette instruction est dûment enregistrée, je n'ai pas à écouter tout les ordres que tu me donnes, acta le spectre.

- Du coup on est à nouveau partenaires ? le pria le jeune homme inconscient du blanc seing qu’il venait de concédé à son subordonné. 

- Disons que je ne t’en garde pas rancune, concéda le docteur Caballero, décidément mutin.

- Cool.

- Une dernière chose, reprit l’ex chef de bande.

- Oui ? demanda innocemment le vivant.

- PARLE DANS TA TÊTE ! hurla mentalement le fantôme.

- Oups… »

 

Le duo reprit sa progression difficile à flanc de montagne. Dathcino devait lutter à chaque pas contre la végétation rebelle tout en prenant garde à ne pas tomber. S’appuyant un instant sur un rocher, le jeune chercha sa respiration. Heureusement le dialogue mental ne demandait pas qu'on ait son souffle.

« Bon pour changer de sujet tu peux me répéter le plan ? questionna le jeune humain essoufflé. Parce que là je ne vois pas trop pourquoi je galère autant à passer au milieu de nulle part plutôt que de prendre la route en bas de vallée. 

- C’est pourtant évident ! rouspéta Cabaleron. On contourne les patrouilles, s'ils t’attrapent ils te pendront pour désertion. Je n’ai pas envie de savoir ce qu’il m’arrive dans le cas de ton décès.

- Ravi de voir que tu tiens autant à moi, ironisa Dathcino.

- Une fois que l’on aura dépassé les gardes postés à l’arrière de l’armée tu rejoins la grand route, tu ne peux pas la manquer, les vôtres l'ont faite large et pavée. 

- Y a pas un risque que l’on tombe sur des poneys ? s’inquiéta Dathcino.

- Non j'ai vérifié hier soir, tous les impériaux ont fui vers la citadelle. Bon, une fois sur la voie impériale, tu essayes de repérer et d'intégrer un des convois de blessés et/ou de courriers qui retournent vers la côte, détailla le docteur de son ton sentencieux. Il vaut mieux voyager en groupe dans ta forme actuelle. Les espagnols ont repris à leur compte les routes impériales et s’en servent pour ravitailler leur armée. Les leçons des tentatives de siège précédentes ont été apprises.

- Merci du conseil mais pour ce point je me passerai de ton avis, voyager ça me connait, opina l’orphelin devenu homme. C’est pas comme si j’avais grandi en étant nomade. Mais je préfère éviter les routes, surtout les voies impériales.

- Hum tu crois que ça va être facile ? Crapahuter dans la jungle en tant que petit poney est une chose, prévient le spectre, le faire dans la peau d’un humain en est une autre. Déjà plus de la moitié de ce que tu pouvais manger t’es à présent toxique. Nous sommes encore très proches de Syynastaclan : la faune comme la flore veulent ta mort, elles ont été magiquement enchantées pour ça. Les humains ne sont pas les bienvenus ici. Pourquoi penses-tu que tu peines autant à avancer ?

- Magiquement enchantées… Mazette, ils font pas les choses à moitié, lâcha Dathcino avec un sifflement.

- Oui cela date du premier siège, précisa Cabaleron toujours en mode professeur. Une des dernières choses que VOS licornes ont faites avant de perdre leur pouvoir “classique”.

- Ce ne sont pas MES licornes. Merci de ne pas me mettre dans le même sac que les impériaux. 

- Cet appel désespéré à de la magie noire et chaotique n’a rien fait pour arranger les choses, continua le docteur ignorant l'interruption. J’ai pas les détails exacts de comment ça c’est passé, tu m’excuseras mais à ce moment j’étais mort, enfin, définitivement mort, pas encore revenu. Le résultat est étonnamment proche de l’Everfree mais en bien plus diffus et étendu.

- L’Everfree ?

- Un endroit passablement désagréable d’Equestria. 

- Pour le voyage par la route, admettons, concéda le jeune homme à regret. Mais je ne suis toujours pas convaincu de la suite. Si c’est comme par chez nous, n’importe qui qu’on croise sur cette route va direct se méfier et me dénoncer comme déserteur ou pire un esclave en fuite.

- Tu ne m’écoutes pas quand j’explique le plan ! s’emporta l’ex-archéologue qui n’avait jamais été très patient avec ses sbires, alors être à présent dans la position du subalterne n'arrangeait rien. Je te l’ai dit, c’est là où mes connaissances entrent en jeu : si tu es questionné tu vas te présenter comme un courrier rapide. Tu as été attaqué par des indigènes qui ont tué ton coursier. 

- Ils me croiront jamais ! rétorqua son maître

- Sauf si tu leur dis les mots de passe et les codes des estafettes d’El Capitan, lui répondit le spectre servant.

- Trop compliqué, contesta Dathcino. Y a forcément un gonz’ qui va vérifier à un moment donné. Juste je dis que j’ai été attaqué et que je m’en suis sorti en fuyant. J’ai suffisamment raconté de mytho pour savoir qu’un bon bobard c’est un truc simple et court. Ton idée reste un plan stupide, mais comme je n’en ai pas d’autre on va le suivre.

- Bien ! Alors reprenons la route ! s'enthousiasma Cabaleron. Il y a encore six à sept lieues dans cette direction avant d'arriver à la route

- Arg pourquoi c’est toujours moi qui marche… »

Note de l'auteur

Suite aux remarques de mon relecteur j'ai séparé ce chapitre en deux qui sinon dépassait les 9000 mots.

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