Chapitre 2
Après avoir mangé avec Steel Façade, Red Bolt et Lollipop, l’heure des cours arriva. Sur le chemin de la salle de classe, alors que nous discutions, j’appris que Steel n’allait plus en cours, car il travaillait en tant qu’apprenti auprès du seul menuisier/charpentier du village, qui commençait à se faire vieux.
Au bout de quelques minutes de marche, n’y tenant plus, je me risquais à poser la question qui trottait dans ma tête depuis le début de la journée.
“Pourquoi ?”
Steel et Red se regardèrent avant de répondre, l’air surpris.
“Pourquoi quoi, Winter ?” répondit Red, son museau affichant un air perplexe.
Me mordant l'intérieur des lèvres, je pris mon courage à deux sabots.
“Pourquoi vous êtes venus me voir que maintenant ? Ça fait des années qu’Ocean Breeze et les autres se moquent de moi, me frappent et renversent mes provisions dans la neige. “
Au fur et à mesure que je parlais et me remémorais les brimades que j’avais subi, ma voix prit de l’ampleur.
“Pourquoi seulement maintenant vous vous êtes dit Il faudrait qu’on lui tende la patte et qu’on l’aide ? POURQUOI ?”
Je criais la dernière question, incapable de me contrôler, faisant reculer d’un pas Steel et Red, alors que Lollipop se cachait derrière eux, effrayée par mon éclat de voix.
Les larmes envahirent mes yeux, mes pensées incontrôlables me narguant, me soufflant que leur amitié était feinte pour me jouer un tour encore plus pendable. C’était certain.
Soudain, ma patte fut prise dans l’étreinte de Lollipop. La petite pégase mauve ne dit rien, et se contenta de me faire un câlin.
Mes larmes continuèrent de couler et je peinais à maîtriser mes sanglots. Le décor autour de moi se brouilla en taches colorées.
La voix de Steel Façade, pleine de remords, s’éleva :
“J’avais pas la moindre idée d’à quel point tu étais ciblé. Vu que tu sors quasiment jamais de chez toi à part pour les cours, et que je suis en apprentissage chez le vieux Craft, j’ai jamais remarqué les agissements d’Ocean Breeze, même si j’avais entendu ce que murmurent les adultes à ton sujet…”
Me frottant les yeux, je vis Red Bolt s’agiter d’un air gêné, avant de passer la patte sur sa nuque et soupirer.
“J’avais peur. Ça fait longtemps que je vois ce que tu subis, c’est lâche de ma part mais je dois avouer que j’avais peur qu’en t’aidant je subisse les mêmes choses.”
Son regard était fuyant, il évitait de me regarder dans les yeux.
Steel lui tapota le dos, essayant visiblement de le réconforter, avant de se tourner vers moi.
“Et puis, Lollipop a intégré la classe il y a quelques jours. Elle a à peine trois ans, mais elle a tout de suite remarqué que tu étais fuyant, et que tu t’enfermais chez toi pour éviter Ocean Breeze et sa bande. Et hier soir, elle a vu qu’ils avaient piétiné tes rations dans la neige, et elle nous a convaincu de t’offrir quelques jours de rations et d’essayer de t’aider”.
Pendant que Steel parlait, je détournais le regard vers Lollipop, qui me fit un grand sourire, toujours accroché à ma patte comme une moule à son rocher.
Red Bolt reprit la parole en grattant le sol d’un sabot : “Et après que Lollipop ait attiré notre attention sur ce que tu subissais, je ne pouvais plus rester sans rien faire… J’espère que tu pourras me pardonner de n’avoir rien fait si longtemps”.
Je restais silencieux pendant un instant. Steel et Red avaient l’air sincères, et bien qu’une partie de moi voulait leur tenir rancune, j’étais surtout soulagé. Soulagé de savoir qu’ils n’essayaient pas de me tendre un piège, et heureux également car pour la première fois, j’avais des amis.
Je pris une grande inspiration avant de tapoter gentiment la tête de Lollipop en lui souriant. Elle me fit un hochement de tête en réponse et lâcha ma patte.
“Y’a rien à pardonner, Red. Je sais pas si j’aurai agi autrement si les rôles avaient été inversés. Et puis, vous êtes les seuls à vous être montrés gentil envers moi, en dehors du Meister, donc bon...”
Je me frottai la nuque du sabot en détournant le regard, ne sachant pas quoi ajouter.
Steel s’approcha, et m'ébouriffa la crinière, sans que je puisse retenir un petit mouvement de recul à l’approche de son sabot.
“T’inquiètes Winter, ça va aller maintenant” me dit-il avec un clin d'œil.
“Par contre, dépêchez-vous, l’école va commencer et je suis déjà à la bourre pour embaucher, le vieux Craft va me passer un savon ! Allez, à ce soir, vous trois !”.
Sur ces mots, Steel partit au galop vers l’atelier de Craft Wood, tandis que Lollipop, Red Bolt et moi-même trottions vers la salle de classe.
Le reste de l’après-midi passa relativement vite, le Meister égrenant ses leçons avec assurance, les poulains écoutant attentivement.
Au bout de ce qu’il me sembla quelques minutes, les sons de cloche des bateaux de récolte rentrant au port résonnèrent dans le village.
Surpris, je remarquai qu’effectivement, l’après-midi était bien avancé. Les heures avaient filé sans que je ne m’en aperçoive.
Le Meister indiqua la fin des cours, et, pour une fois, je me précipitai pour sortir en même temps que les autres.
“Winter ? Peux-tu rester quelques minutes ?”
Mon sabot se figea dans son mouvement, à mi-chemin de mon manteau. Une boule d’angoisse se forma dans ma gorge, tandis que je regardai les autres poulains sortir.
Red Bolt attira mon attention d’un geste, avant de former silencieusement les mots : “On t’attend dehors” et sortir avec Lollipop.
Déglutissant pour tenter de me débarrasser du nœud dans ma gorge, je me risquai à demander au Meister s’il y avait un souci.
Un air attristé passa furtivement sur son museau, avant de disparaître lorsqu’il me répondit d’un air rassurant :
“Non, Winter, au contraire. J’ai vu que tu avais passé la matinée avec Red Bolt, Steel Façade et Lollipop, je suis content que tu te fasses enfin des amis.”
Faisant léviter un livre avec sa magie bleutée, il se leva de son bureau et se dirigea vers moi.
“Je voulais également te donner ce livre à lire. Il est un peu vieux, mais c’est un excellent guide pour jeunes licornes tentant d’apprendre à contrôler leur magie. Où en es-tu de ce côté-là ?”
Une fois arrivé à ma hauteur, il fit flotter le livre à ma portée, pour que je puisse l’attraper avec mes pattes.
Je décidai d’essayer d’utiliser ma magie. Fermant les yeux, je tentai de reproduire la sensation que j’avais ressenti la veille en utilisant ma télékinésie.
Je pouvais visualiser le contour du livre, sentir son poids tandis que ma magie l’enveloppait.
Lentement, je rouvris les yeux, et un sourire se forma sur mon visage.
Le livre était enveloppé dans le voile rougeâtre de ma magie, le maintenant en lévitation.
D’un coup, je perdis la maîtrise de ma magie, l’ouvrage retombant lourdement vers le sol.
In extremis, un voile bleuté entoura le tome et le ramena à ma hauteur.
Le Meister arborait un de ses rares sourires.
“Attention Winter, ce livre est plus vieux que moi, il est plus fragile qu’il en a l’air. Je suis ravi de voir que ta magie se soit enfin manifestée. Tout ce qu’il te reste à faire, à présent, c’est de l'entraîner.”
Il prit un air sérieux et professoral en ajoutant : “La maîtrise de la magie vient avec la pratique. C’est comme un muscle, plus tu l’utilises, plus ta magie sera efficace.”
Attrapant le livre de mes sabots, je le rangeai dans ma sacoche tout en hochant la tête.
D’un signe de tête, le Meister m’indiqua la porte de la salle de classe et, sourire aux lèvres, je ne me fis pas prier.
Sortant dans l’air glacée, je scannais les alentours de la maison du Meister, pour retrouver Red et Lollipop.
Soudain, je sentis un sabot me toucher au niveau de l’épaule et je fis un bond.
“Winter, du calme, c’est nous.”
Le sabot appartenait à Red Bolt, qui avait simplement tenté d’attirer mon attention.
Il avait un air inquiet sur le visage, pendant que Lollipop était en train de faire des petits monticules de neiges à l’apparence vaguement équine.
“ça va ? Que voulait le Meister ?”
Je souris, et lui expliquais en lui montrant brièvement le livre d’initiation à la magie que m’avait confié le Meister.
Red sourit également, et m’invita à venir jouer avec Lollipop.
D’un air taquin, il ajouta : “Elle s’est mise en tête de sculpter de la neige pour nous représenter tous les trois, mais à part ta sculpture, elle y arrive pas vraiment.”
“Hein ?”
“ Ben, tu es aussi blanc que la neige, ta sculpture est bien ressemblante du coup. A part les yeux quoi” répondit Red en riant.
“Arrête de te moquer, Red, je fais du mieux que je peux” répliqua Lollipop, une moue boudeuse sur le museau.
Comprenant finalement la blague, je ne sus pas quoi répondre pendant un court instant.
Je pris le parti de rire doucement, et m’agenouillai près de Lollipop pour l’aider à sculpter.
Entre la sculpture dans la neige et une bataille de boules de neige, la fin d’après-midi fut bien remplie.
Le jour commençant à se coucher, Red Bolt, Lollipop et moi-même repartîmes en direction de nos maisons respectives, en discutant.
La nuit était presque tombée à présent.
La maison de Red et Lollipop était déjà visible, avec de la lumière visible par les fenêtres, Steel était sans doute déjà rentré.
D’un seul coup, j’eus l’impression de me prendre un rocher sous les côtes. Sous le choc de l’impact, je tombai par terre sans un bruit, l’air chassé de mes poumons.
“Ah beh tiens, qui c’est qui donc là ? C’est notre copain, le délavé ! Alors Winter, tu t’es fait des amis ? Dommage pour eux, hein.” me dit Ocean Breeze d’un air mauvais en me toisant de toute sa hauteur.
La douleur arriva avec un temps de retard, irradiant dans mon flanc gauche. Le souffle toujours coupé, je tentai de me relever, mais mes pattes étaient trop faibles pour me soulever.
Je remarquai cependant que le pégase était tout seul, comparé au cortège d’admirateurs qui le suivaient en permanence d’habitude.
“Laisse-le tranquille, Ocean ! Ça suffit ! Je vais en parler au Meister, tu vas voir", cria Red Bolt en se mettant entre moi et le pégase turquoise.
Je tentai désespérément de reprendre ma respiration, mais mes poumons étaient comme bloqués, incapable d’inspirer.
J’entendis Lollipop pleurer doucement, et s’approcher de moi. Elle essaya de me relever, mais mes pattes s’agitaient inutilement tandis que je luttais pour tenter de respirer.
Les sons devinrent plus sourds, et je n’arrivai plus à distinguer les voix autour de moi.
D’un seul coup, je ressentis un énorme coup dans mon dos, presque aussi fort que celui que j’avais reçu dans le flanc gauche un peu plus tôt.
Mes poumons décidèrent de refonctionner instantanément, me permettant de reprendre une inspiration bruyante avant de me mettre à tousser.
Les sons ambiants revinrent. Et la première chose que j’entendis fut une voix pleine de rage et de haine.
“Ocean, espèce de sale petit connard, je vais te défoncer la tronche.” Je reconnus la voix de Steel Façade.
“Eh bah quoi, Steel, tu t’es pris d’affection pour ce déchet ? Regarde-le cet albinos, un coup et il est par terre incapable de bouger, c’est pas glorieux”, ricana Ocean Breeze.
Toujours à terre, je tournai la tête vers les trois poneys. Red Bolt était assis par terre, la marque d’un sabot bien visible sur sa joue malgré son pelage rouge.
Ocean Breeze était face à Steel Façade, un air narquois sur le visage, volant à quelques centimètres au-dessus du sol.
“Et puis, c’est la faute de Red Bolt s’il s’est pris un coup, il avait qu’à me laisser aller frapper le délavé. Winter sert à rien de toute manière, il a pas de magie, et il sera jamais assez fort pour faire autre chose qu’un boulot de licorne pépère” lâcha Ocean Breeze, ponctuant ses mots d’un crachat dans ma direction.
Steel ne répondit pas. Il se contenta de sauter vers Ocean Breeze en lui décochant un coup de sabot, droit dans le museau.
La scène se joua en un instant. Ocean atterrit après le premier coup, son pelage turquoise virant au rouge à l’endroit où le coup l’avait touché.
Sans lui laisser le temps de réagir, Steel resta cabré sur ses pattes postérieures et se mit à le boxer sans discontinuer de ses pattes avant, gauche-droite-gauche, jusqu’à ce que le nez du pégase se mit à saigner et que son visage soit plus rouge que turquoise.
Ocean Breeze tomba lourdement par terre, gémissant et pleurant en se tenant le visage.
Steel le releva sommairement, grondant presque.
“Maintenant Ocean, tu dégages, et si tu emmerdes qui que ce soit à l’avenir, j’te réexpliquerai pourquoi c’est une mauvaise idée, salopard ! Allez, casse-toi !” cracha Steel, toujours rouge de colère.
Ocean Breeze fila hors de vue sans demander son reste, pendant que Steel se retournait vers Red Bolt.
L’air froid me brûlait la gorge, mais je respirai à grandes goulées sans y faire attention. Lollipop était toujours à côté de moi, reniflant doucement.
Steel vient vers moi et s’assit à côté de moi, me massant le dos en me parlant d’une voix rassurante : “ça va Winter ? Doucement, inspire, expire, leeentement, prends ton temps. Voiiilà, comme ça, c’est bien, désolé de t’avoir donné un coup dans le dos comme ça, mais t’étais en train de t’étouffer. Ocean a dû te bloquer le souffle quand il t’a frappé”.
Pendant qu’il me massait, la douleur me rattrapa et je grimaçai en retenant tant bien que mal mes larmes.
Me redressant en position assise, une quinte de toux me reprit.
Steel me tapota doucement le dos. En lui faisant un hochement de tête, je remarquai que son flanc était désormais orné d’une cutie mark : un fer à cheval doré, avec une paire d’ailes.
Je pointai ses flancs sans un mot.
Il jeta à peine un coup d'œil à sa cutie mark avant de m’aider à me relever et d’aller voir Lollipop, qui pleurait toujours.
Il la mit sur son dos, et se mit à trotter sur place, la faisant rebondir comme un sac sur son dos. Instantanément, sa mine devint plus réjouie, et la pégase mauve sécha vite ses larmes et fit un câlin à son frère adoptif.
Pendant ce temps, Red Bolt s’était relevé et était venu voir comment j’allais. La marque sur son visage s’estompait déjà.
“Tu vas bien Winter ? Pendant un instant, j’ai cru que…”
Je tentai de répondre, mais un croassement inintelligible sortit de ma bouche à la place.
Me raclant la gorge, j’essayai de nouveau.
“Je-ça va, j’ai mal, mais ça va.”. Je finis ma phrase en grimaçant alors que les deux coups, celui d’Ocean Breeze et celui de Steel, m’élançaient.
“Il faut aller voir le Meister pour te soigner ça, ça te fait déjà de sacrés bleus. Viens, on y va” ordonna Red Bolt en me tirant derrière lui.
Tournant la tête, je remarquai en effet une grande tache bleuâtre sur mon flanc gauche, contrastant étrangement avec mon pelage blanc.
Il s’était passé à peine cinq minutes entre le moment où Ocean Breeze m’avait frappé et le moment où Red Bolt et moi étions de nouveau devant la maison du Meister.
Une fois arrivé, Red Bolt tambourina avec insistance sur la porte, jusqu’à ce que le Meister nous ouvre, un air perplexe sur le museau.
En me voyant, ses yeux s’agrandirent de stupeur. Red Bolt lui expliqua en détail ce qu’il s’était passé, et le Meister fronça les sourcils sans un mot.
Il passa le rideau qui séparait le reste de sa maison de la pièce qui servait de salle de classe. Je l’entendis fouiller quelques instants, des bruits de livres sortis et remis sur les étagères s’élevant de l’autre côté du rideau.
Au bout de quelques minutes, il revint avec un livre à la couverture ornée d’une croix rouge.
“Ne bouge pas Winter, ça va picoter un peu, mais une fois que ce sera terminé, tu n'auras plus rien” me dit le Meister, tentant d’être rassurant.
Un voile de magie bleu clair m’enveloppa. Je ressentis une furieuse envie de me gratter sur le flanc et dans mon dos, là où j’avais reçu les coups.
Le sort prit fin rapidement, l’envie de me gratter faisant place à un soulagement immense alors que la douleur disparaissait totalement.
Le Meister jeta un coup d’œil rapide pour être certain que le sort avait fonctionné puis s’occupa de Red Bolt, même si la marque de sa joue était à peine visible.
Une fois qu’il eut terminé, le museau du Meister se crispa, ses yeux lançant des éclairs.
Se tournant vers Red Bolt et moi, son expression s’adoucit pendant qu’il nous souhaitait une bonne nuit et nous assurant qu’il allait s’occuper du cas d’Ocean Breeze.
Nous repartîmes dans la nuit en direction de nos maisons.
Juste avant de se séparer, Red Bolt me poussa de force vers la maison qu’il partageait avec Lollipop et Steel. Je tentai mollement de protester mais le licorne rouge ne m’écouta pas et me fit entrer de force chez lui, invoquant le fait qu’ils allaient pas me laisser seul chez moi après ça.
Leur maison était bien plus grande que la mienne, et consistait en une pièce principale et trois chambres. Une fois entré, la première chose que j’entendis fut le rire de Lollipop, pendant que Red accrochait nos manteaux à la patère de la porte.
Il passa devant moi avant de s’exclamer joyeusement : “Prévois une ration de plus Steel, Winter mange avec nous ce soir !”
Malgré ses débuts douloureux, la soirée se termina finalement bien.
Après le repas, des jeux furent improvisés, nos quatre rires s’attardant bien après que les étoiles se soient allumées dans le ciel nocturne.
Plusieurs heures plus tard, après que Lollipop et Red soient partis dormir, ma discussion avec Steel allait toujours bon train.
“Dis-moi Winter, qu’est-ce que tu voudrais faire plus tard ? Être l’apprenti du Meister ?” commença Steel.
Sans réfléchir, ma réponse franchit mes lèvres : “Voyager par-delà les montagnes”.
Steel Façade se redressa, l’air perplexe : “Vraiment ? Et si c’était un désert de glace sans personne ?”
Je hochai vigoureusement la tête : “Impossible ! On peut pas être la seule communauté au monde, y’a forcément plus de poneys et d’autres races.”
Steel eut une moue dubitative : “Mouais, désolé de te couper la chique, mais on a quand même du bol d’être protégé du gros de l’hiver éternel grâce au vent marin et aux montagnes. C’est quand même pas courant comme truc….”
Je haussai les épaules, trop fatigué pour argumenter. Un bâillement m’échappa, promptant Steel à se relever pour me raccompagner chez moi.
Une fois chez moi, je m’effondrai dans mon lit, le sourire aux lèvres et m’endormit d’un sommeil profond et sans rêve.
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Des coups à ma porte me réveillèrent en sursaut le lendemain matin.
A moitié endormi, je me levai pour ouvrir la porte et voir qui était là de si bon matin.
“Winter ! Dépêche-toi, tous les adultes sont réunis chez le Meister ! Je sais pas ce qui se passe, tu crois que c’est à cause d’hier soir ?” me demanda Red Bolt
Je marmonnai une vague réponse en me frottant les yeux. J’agrippai mon manteau et l’enfilai maladroitement pendant que Red Bolt piétinait sur place.
Finalement prêt, je fermai ma porte et suivit Red Bolt, qui partit au trot. Encore groggy par un réveil aussi brutal et matinal, je peinai à suivre son allure et glissai plusieurs fois sur le sol couvert de neige.
En arrivant à la maison du Meister, j’entendis effectivement des éclats de voix depuis l’intérieur, leur ton indiquant clairement un débat ou une dispute.
Steel et Lollipop était déjà là, ainsi que le reste des poulains du village, à l’exception notable d’Ocean Breeze.
Tout le monde essayait de voir à l’intérieur, mais les rideaux semblaient avoir été tirés sur les fenêtres, empêchant d’apercevoir quoi que ce soit.
En tendant l’oreille, j’arrivai à distinguer des bribes de la conversation qui se déroulait dans la maison.
“Inadmissible……… laisser passer ça”
“Du calme….. explication…”
Impossible de comprendre le sujet de la discussion avec le peu de mots audible de ma position.
Red et Steel étaient en pleine discussion, argumentant que la réunion avait forcément été décidée suite aux actions d’Ocean Breeze même si Steel semblait dubitatif.
La porte s’ouvrit soudain, et les adultes commencèrent à sortir dans un brouhaha inintelligible.
Ocean Breeze et ses parents fermaient la marche. Son père était un pégase à l’air renfrogné, au pelage bleu sombre, le crin noir et une cutie mark en forme d’ancre, sa mère, une terrestre au pelage bleu ciel et aux crins d’argent avec une cutie mark représentant une aiguille à coudre.
Le pégase turquoise gardait la marque des coups que Steel lui avait infligés la veille, son museau rougi ayant cependant retrouvé une forme normale.
Quand il m’aperçut, un air mauvais se dessina sur son visage et il attira l’attention de son père en me pointant du sabot.
La tête de son père pivota vers moi, son museau se plissant de colère. Je commençai à reculer, ayant un mauvais pressentiment.
Avant que j’ai pu faire trois pas, il fut sur moi, me soulevant avec ses ailes par le col de mon manteau.
Tétanisé par la peur, je n’osais plus bouger un muscle. Il ouvrit la bouche, prêt à crier.
Un écran de magie bleutée m'entoura tout à coup, m’arrachant à la poigne du père d’Ocean Breeze et me reposant délicatement par terre tandis qu’un Meister furieux s’interposait entre nous.
“Ça suffit, Thunder Charge !” cria le licorne, le nez touchant presque celui du père d’Ocean Breeze
“Bien entendu que tu le défends. Vous les licornes, toujours à vous serrer les coudes et à tenter de nous diriger. Qui t’a donné le droit de diriger le village hein ?” cracha Thunder Charge.
Pointant le sabot vers moi, il ajouta : “ Ce petit salopard a attaqué mon Ocean Breeze avec sa magie, alors qu’il était en train de rentrer à la maison hier soir. Regarde l’état dans lequel il a mis mon fils ! Hors de question que je laisse passer ça !”
Le Meister se redressa de toute sa hauteur.
“Je te l’ai déjà dit et répété plusieurs fois, Thunder Charge. Winter vient à peine de comprendre comment utiliser sa magie, il est impossible qu’il ait pu attaquer Ocean Breeze avec. “
D’une voix plus calme, mais qui tremblait toujours de colère, Thunder Charge argumenta que je pouvais très bien faire semblant de ne pas pouvoir utiliser ma magie et exigea une preuve.
Le Meister soupira puis se tourna vers moi.
“Suis-moi Winter. Tout ira bien, je te le promets”
Déglutissant, je hochai la tête, incapable de répondre. Red Bolt et Steel Façade me lancèrent un regard encourageant, Lollipop ne cachant pas son inquiétude.
Le Meister fendit la foule d’une foulée ample, sa cape virevoltant dans l’air glacé, me forçant à passer au trot pour pouvoir le suivre.
Thunder Charge et sa famille suivaient le mouvement également. Le Meister m’amena au niveau d’un rocher presque aussi gros que ma tête puis se retourna vers moi.
“Winter, essaie de soulever ce rocher. Essaie de toute tes forces, mais ne sois pas découragé si tu n’y arrives pas.” me demanda-t-il d’un air encourageant.
Un demi-cercle se forma derrière le Meister et moi, parcouru de murmures.
Les lèvres sèches et la gorge nouée, je tentai de rassembler ma magie pour entourer le rocher.
Mon anxiété me bloquait. Je sentais ma magie mais impossible de la libérer pour entourer le rocher.
Je poussai de toutes mes forces sur ma magie, tandis que les murmures se faisaient de plus en plus fort autour de moi.
Quelques rires se firent entendre, moqueurs, et assortis de commentaires cruels sur mon apparence et mon incapacité à utiliser la magie, seul point fort des licornes.
“Il aurait mieux valu qu’il meure à la place de ses parents. Une tragédie, ce poulain. Il sera toujours un poids mort, vivant au crochet du village. Il est marqué par l’hiver, tout comme lui, il n’apportera jamais rien de bon je vous dis” s’exclama une voix féminine que je ne reconnus pas.
Mon angoisse et mon stress disparurent, remplacés par une colère dévorante.
Comme d’habitude, on me jugeait sur mon apparence, on se moquait de moi, on me rabaissait.
Derrière moi, j’entendais le ricanement d’Ocean Breeze, sans doute fier d’avoir réussi à me ridiculiser devant tout le village.
Brûlant de rage, je me concentrai de nouveau sur ma magie, la sentant enfler comme une vague déferlante.
J’entendis vaguement le cri d’alarme du Meister avant de relâcher ma magie.
Une énorme boule de feu se forma au moment où je libérai ma magie, assez grande pour englober un adulte.
Des cris de terreur s’élevèrent tandis que la boule de feu partait en ligne droite, évitant le rocher que je visais et passant de justesse entre deux maisons avant de percuter un cabanon à l’abandon un peu plus loin.
L’explosion qui s’ensuivit fut assourdissante. Le cabanon fut oblitéré, des bruits de vitres cassées se faisant également entendre.
Les yeux fixés sur ce que j’avais libéré, je ressentis un picotement sur mon flanc.
Tournant légèrement la tête, je remarquais ma cutie mark, une forme couleur rubis qui m’était inconnue, puis je réalisai que tout le village ou presque me regardait d’un air terrifié.
Red Bolt, Steel Façade et Lollipop me fixaient d’un air abasourdi, leurs bouches grandes ouvertes.
Je ressentis soudain une brûlure au niveau de ma corne. Levant les yeux, je remarquais un voile bleuté entourant ma corne, dessinant des entrelacs complexes sur ma corne.
Une fois le voile magique dissipé, je tentai d’utiliser ma magie et ressentit une forte sensation de morsure ardente tandis que les entrelacs bleus sur ma corne se mirent à briller.
Je me laissai tomber en position assise, mes sabots frottant frénétiquement ma corne pour tenter d’enlever ce qui était dessus.
“Winter, calme-toi, c’est simplement un sort de limitation” commença le Meister, la voix tremblante malgré son ton rassurant.
Mes yeux s’emplirent de larmes. Je frottai de plus en plus fort ma corne en ignorant le licorne, tandis que le reste du village commençaient à murmurer.
“Marqué par l’hiver, je vous dis. Il n’apportera que le malheur à ce village ! Imaginez s’il avait décidé de lancer ce sort sur nous ! Il faut le jeter hors du village, Maelström !” clama la même voix que tout à l’heure.
Cette fois-ci, je vis la jument qui parlait, Green Sprout.
Je me relevai d’un bond, sanglotant toujours et commençai à hurler sur la jument au pelage et au crin vert à la cutie mark en forme de légume.
“POURQUOI ? HEIN ? DANS TOUTE MA VIE JE VOUS AI FAIT QUOI ? POURQUOI VOUS ME HAÏSSEZ TOUS ?”
Tandis que je hurlais, je me tournai pour fixer chaque poney présent.
“ J’AI JAMAIS RIEN FAIT DE MAL, ET VOUS TOUS, VOUS ME TRAITEZ COMME DE LA MERDE !”
Ma voix se brisa en sanglots, que je ne pris pas la peine de cacher. Les larmes gelaient sur mes joues.
“Winter...” commença une voix peinée.
J’esquivai la patte du Meister et je partis au galop vers ma maison. Mon sang battait dans mes oreilles, peinant toutefois à noyer le bruit de cavalcade derrière moi.
Je poussai de toutes mes forces sur mes pattes, y mettant toute ma rage. J’atteignis ma maison en un instant, bien que j’eus l’impression de courir pendant des heures.
Toujours sanglotant, j’ouvris la porte de ma maison et la refermai à clé. Je poussai mon étagère et ma table en travers de l’entrée, renversant la plupart de mes affaires par terre, tandis que j’entendais tambouriner sur le bois.
Des voix étouffées me suppliaient de sortir, pendant que des silhouettes tentaient de regarder à travers la fenêtre.
D’un geste rageur, je refermai le rideau, plongeant la pièce dans la pénombre puis me jetai dans mon lit.
En position fœtale, recouvert de ma couverture, je me laissai aller à pleurer à chaudes larmes.
Petit à petit, les coups à ma porte cessèrent. Je sanglotai plusieurs heures dans cette position avant que la fatigue n'ait raison de moi à la tombée du jour.
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Je fus réveillé par mon estomac. Ma maison était toujours plongée dans la pénombre mais impossible de savoir combien de temps j’étais resté endormi.
Lentement, je me levai, les pattes engourdies par les courbatures. Un coup d'œil rapide derrière le rideau me montra que le jour était à peine levé.
Jetant un regard sur ma corne, je peinais à voir les entrelacs que j’avais vu la veille. En tendant la patte pour attraper mon miroir, je me souvins que j’avais fait tomber l’étagère devant la porte pour la bloquer. Mes affaires étaient toujours par terre, le bord de mon miroir était ébréché.
Je le pris avec le sabot et examinai ma corne. Les entrelacs bleus étaient toujours présents, contrastant avec le blanc de ma corne, luisant très faiblement.
Une protestation bruyante me rappela à l’ordre, mon estomac se mettant à gronder comme une bête sauvage.
Mon pichet d’eau était lui aussi par terre, son contenu évaporé depuis longtemps.
Je remis mes affaires à leur place, poussant tant bien que mal la table et l’étagère pour les ramener à leur position initiale, à peu de chose près.
Mettant mon pichet sur le dos, je sortis de ma maison. Le vent soufflait depuis la mer ce matin-là, ébouriffant mes crins tandis que je me dirigeai vers le puits du village.
Je remerciai ma chance qu’il soit si tôt, vu l’heure il était peu probable que je rencontre qui que ce soit sur le chemin.
Une fois arrivé au puits, je tâchai de remonter le seau sans faire trop de bruit. Malgré tout, la manivelle grinçait légèrement, mais le son était trop faible pour réveiller qui que ce soit.
Pendant que je remplissais mon pichet, j’entendis un bruit de poterie qui se brise. En me retournant brusquement, je vis Ocean Breeze, les yeux écarquillés et le teint blême de peur.
Avant que je puisse réagir, il avait fui, volant aussi vite que s’il avait un Windigo aux trousses.
Je me dépêchais de récupérer mon pichet rempli d’eau, sans prendre la peine de redescendre le seau. Il était temps de rentrer chez moi au plus vite, si personne n’était encore réveillé pour le moment, quelque chose me disait qu’Ocean Breeze ne tarderait pas à revenir.
Une fois arrivé chez moi, je refermai la porte à clé et me préparai à manger. Soupe de champignons frais pour changer un peu de la soupe aux algues et champignons séchés.
Pendant que je prenais mon repas, des coups discrets furent frappés à ma porte.
La voix du Meister s’éleva : “Winter, je sais que tu es là et je sais que tu m’entends, je vois la fumée de ta cheminée. Sors, s’il te plait”.
Ma colère flamba de nouveau. Entendre la voix de Meister Maelström m’avait renvoyé le souvenir de la brûlure que j’avais ressenti la veille à ma corne, lorsqu’il avait lancé son sort.
"Allez-vous-en ! Je veux pas vous voir, ni vous, ni personne, “dis-je, la voix tremblante.
Un soupir s’éleva de l’autre côté de la porte. La voix lasse du Meister s’éleva de nouveau.
“Winter, s’il te plaît. Écoute au moins ce que j’ai à dire”
“Non ! Partez ! Je veux plus vous parler, ni vous voir.”
“Très bien, Winter. Je reviendrai plus tard”, répondit le Meister.
Sa voix semblait vieille et triste, mais je fermais mon cœur, trop en colère pour pouvoir compatir avec lui.
Sans rien d’autre à faire, je passai la journée à lire le livre que le Meister m’avait confié deux jours plus tôt.
Vers le milieu de l’après-midi, de petits coups discrets résonnèrent à ma porte.
“Winter ? Tu es là ?” fit une petite voix, que je reconnus comme étant Lollipop.
Je ne répondis pas immédiatement et m’appuyai simplement simplement contre la porte, l’oreille collée au bois pour mieux entendre les sons extérieurs.
“Winter ? Tu devrais sortir. On s’inquiète pour toi.” ajouta Steel.
“S’il te plait, Winter, tu peux pas rester enfermé comme ça.” renchérit Red.
Je fis lentement tourner la clé dans la serrure et ouvrit la porte.
Red Bolt, Steel Façade et Lollipop étaient sur mon perron, l’air inquiet. Mon sourire à leur vue s’estompa quand je remarquai la silhouette du Meister attendant plus loin dans l’ombre d’une maison. Je ne pus empêcher un rictus de colère involontaire de se former sur mon visage.
“Tu es fâché contre nous, Winter ?”
Lollipop avait l’air peiné, tentant visiblement de comprendre pourquoi j’étais aussi furieux.
“Pas contre vous trois, Lollipop, jamais” répondis-je en me forçant à sourire faiblement.
Pendant que je parlais, le Meister s’avança, sortant de l’ombre. Sa barbe d’habitude impeccable semblait en désordre, de profonds cernes ornant ses yeux.
Il ouvrit la bouche mais je le coupai.
“NON ! Stop, ne parlez pas, je veux pas vous écouter ! Vous êtes comme tous les autres adultes. Je commençais tout juste à pouvoir utiliser ma magie et vous me la prenez !”
Le Meister s’avança encore et je reculai, prêt à sauter d’un bond à l’intérieur et refermer la porte.
“Tout d’abord, Winter, je dois te dire qu’Ocean Breeze a avoué ce qu’il s’était vraiment passé il y a deux nuits. En vérité, il a été tellement terrorisé par ta démonstration d’hier qu’il a avoué toute les méchancetés et harcèlements qu’il a fait subir à toi mais aussi à d’autres”.
Le Meister prit un air peiné avant de continuer.
“Je suis désolé d’avoir dû te lancer ce sort, mais tu te trompes sur son usage. Le sort que j’ai lancé sur ta corne est un sort de limitation, Winter. Il ne t’empêche pas de faire de la magie, il permet simplement de limiter la quantité de magie que tu peux canaliser à la fois avec ta corne, pour t’habituer graduellement à utiliser ta magie avec plus de finesse.” commença le licorne d’une voix rassurante.
Hésitant, je le fixai sans un mot.
“Graduellement, je diminuerai l’emprise du sort, pour te permettre d’apprendre petit à petit à contrôler la puissance de tes sorts. Bien sûr, il faudra du temps mais…”
“Combien de temps ?” demandais-je en me frottant la corne.
“Quelques années, au moins. Ta magie ne s’est manifestée que très récemment, tu as donc autant de contrôle dessus qu’un nouveau-né. Cependant tu as une quantité de magie plus élevée que la moyenne. Si tu n’apprends pas à la maîtriser, tu vas finir par blesser quelqu’un ou te blesser toi-même. C’est un miracle que ton sort d’explosion hier n’ai touché personne.”
Avant que je puisse répondre, Red me posa son sabot sur l’épaule.
“T’inquiètes pas Winter, je t’aiderai à t’entraîner, comme ça le sort sera levé plus vite !” me dit-il d’un air rassurant.
Je hochai la tête d’un air absent. Ma colère était retombée comme un soufflé, et une seule question me venait à l’esprit.
“Meister ?”
“Oui, Winter ?”
“Vous pouvez me dire ce que représente ma cutie mark ? On dirait une forme mais je sais pas ce que c’est.”
Il l’examina attentivement avant de se redresser.
“Il s’agit d’un rubis, taillé en trillion. Avant le cataclysme, ce genre de gemmes taillées servaient à amplifier la puissance des sorts lancés par une licorne. Ce savoir est malheureusement en grande partie perdu.”
Il me sourit avant d'ajouter: "À mon avis, ça implique que tu pourras canaliser ta magie pour amplifier grandement tes sorts dans le futur".